La Turquie d’Erdogan : un virage inquiétant vers l’autocratie

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La Turquie traverse une période sombre marquée par un affaiblissement progressif de l’État de droit. Avec l’incarcération d’Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et figure de proue de l’opposition, le président Recep Tayyip Erdogan semble avoir franchi un cap décisif dans sa dérive autoritaire.

Un opposant majeur écarté du jeu politique

Dimanche 23 mars 2025, Ekrem Imamoglu, social-démocrate et atatürkiste revendiqué, a été arrêté alors qu’il devait être désigné candidat du Parti républicain du peuple (CHP) à la prochaine élection présidentielle. Cette arrestation, officiellement motivée par des accusations de « corruption », intervient alors qu’Imamoglu était considéré comme l’un des rares adversaires capables de menacer la longévité politique d’Erdogan.

L’incarcération du maire d’Istanbul illustre la stratégie implacable du président turc pour neutraliser toute opposition politique. En mobilisant la justice à des fins politiques et en réprimant les manifestations massives organisées en réaction, Erdogan parachève un processus amorcé depuis plus d’une décennie : celui du démantèlement des contre-pouvoirs et du cadre démocratique turc.

Un processus de dérive autoritaire bien ancré

Cette régression démocratique trouve ses racines dans des événements majeurs des dernières années. Dès 2013, la répression violente des manifestations du parc Gezi à Taksim avait marqué un tournant. Deux ans plus tard, Erdogan mettait brutalement fin aux négociations de paix avec les Kurdes, entraînant l’arrestation de nombreux élus et leaders d’opposition, notamment Selahattin Demirtas.

Le coup d’État manqué de 2016 a également servi de prétexte à des purges massives au sein des institutions publiques, visant principalement les partisans du prédicateur Fethullah Gülen, ancien allié du président. Depuis lors, les atteintes aux libertés fondamentales se sont multipliées : adoption de lois répressives, destitution d’élus locaux et incarcération d’intellectuels, journalistes et figures de la société civile.

Une élection sans suspense

Avec l’arrestation d’Imamoglu, Erdogan semble avoir franchi un point de non-retour. L’environnement électoral turc, déjà déséquilibré par le contrôle étroit des médias et des institutions, bascule désormais dans une autocratie assumée. L’opposition n’a même plus la possibilité de désigner librement son candidat, laissant présager une élection sans véritable suspense, où le résultat semble joué d’avance.

Un président sûr de son pouvoir

Recep Tayyip Erdogan, fort du contrôle qu’il exerce sur les forces de sécurité et les institutions, apparaît convaincu qu’il ne paiera pas le prix politique de cette nouvelle escalade. Les protestations populaires, malgré leur ampleur, n’ont jamais suffi à le faire reculer.

L’arrestation du maire d’Istanbul, figure emblématique d’un courant politique enraciné dans l’héritage de Mustafa Kemal Atatürk, ne semble pas davantage inquiéter le président turc. Sûr de son pouvoir et conscient du contexte international instable, Erdogan profite de sa position stratégique dans les affaires mondiales pour renforcer son autorité intérieure sans crainte de réelles représailles diplomatiques.

Une inquiétude croissante à l’international

Face à cette dérive autoritaire, certaines voix se sont élevées. Paris et Berlin, ainsi que plusieurs maires de grandes villes européennes, ont fermement condamné l’arrestation d’Ekrem Imamoglu. Toutefois, ces réactions restent bien timides face à l’ampleur du recul démocratique que connaît la Turquie.

L’Union européenne, préoccupée par les tensions en Ukraine et la situation en Syrie, semble privilégier la stabilité régionale à une confrontation ouverte avec Ankara. Pourtant, cette indifférence risque d’avoir des conséquences lourdes, car voir la Turquie basculer durablement dans l’autocratie constitue non seulement une menace pour sa population, mais aussi un revers tragique pour tous les défenseurs de la démocratie.

Séverin Konan

Ovajabmedia.com

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