
Le philosophe ivoirien TEBI Joachim ABLE resserre les liens entre la Côte d’Ivoire et la Grèce.
La fête de la ‘’ Paix entre peuples » se tiendra dans le mois de juin prochain à Paris. Dans cette interview, Docteur Tebi Joachim Ablé, Président-Fondateur de ALLIANCE TO-KPÊ DE CÔTE D’IVOIRE, l’organisateur principal de cette activité, livre les grandes articulations de cet évènement qui unit les peuples dans la paix.
Pouvez-vous présenter ?
Je suis Tebi Joachim Ablé, Président-Fondateur de ALLIANCE TO-KPÊ DE CÔTE D’IVOIRE, Association loi 1901, déclarée dans les Hauts de Seine en 1919, mais en réalité, nous existions de façon non formelle, depuis 25 ans, depuis décembre 1999. Je me réfère de moins en moins à toute formation (qui est différente de l’éducation) universitaire des écoles… Je suis Théoricien de la Palabre africaine et Concepteur de la Tradition Historique.
Pouvez-vous nous expliquer le concept ?
Tous les Ivoiriens utilisent ce concept, ce mot sans forcément en connaitre la signification profonde. Et c’est depuis 2017, lors de la conférence des To-kpê de la porte de Paris que je l’ai expliqué à mes compatriotes. Tous les Ivoiriens ont si bien adopté ce mot et la pratique du To-kê que chaque peuple de Côte d’Ivoire se sent fier en avoir un autre comme allié.
Je remercie encore le journal « Le Nouveau Courrier » qui m’a déjà offert l’occasion de dire que le mot « to-kpê » appartient à la langue dida classique et il s’entend de la façon suivante : to (la guer re) kpê (couper ou découper en petites tranches)… Ici, on découpe donc la guerre en petites lamelles, c’est-à-dire, qu’on détruit la guerre, c’est-à-dire, qu’on découpe la guerre en petites lamelles, on la lamine, on l’anéantit, on réduit la guerre à néant. Et une fois anéantie, la guerre qui obstruait l’espace par sa violence, par les corps qu’elle laissait joncher la terre entière, laisse la place nette. Dès lors, qu’est-ce qui occupe cette place désormais débarrassée de la terreur ? C’est la paix. En effet, une fois anéanties, ces ordures de la guerre cèdent la place à la paix.
Je ne suis donc pas d’accord que l’on parle d’ « alliances à plaisanterie » comme cela se dit souvent malencontreusement, pour désigner ce fondement de notre sociologie politique. Car cette façon de l’expliquer aux plus jeunes ne véhicule que le côté naïf des alliances de « paix entre peuples. » Bien sûr que les peuples alliés peuvent s’adonner à la plaisanterie en se lançant des vannes comme disent nos enfants. Mais il ne s’agit, là, que de la conséquence heureuse des alliances. En effet, la plaisanterie n’arrive qu’en deuxième lieu, une fois que l’on aura retrouvé la paix. Cela veut dire que ne pouvant plus se faire la guerre, il reste une seule chose aux frères-ennemis d’hier : « le rire partagé » que vous appelez la plaisanterie…To-kpê ou Mèno
Quant au mot mèno que l’on entend souvent en pays dida, il revêt le même sens que to-kpê. En effet, le mèno intervient directement après le to-kpê. Car ce premier acte qu’est le to-kpê repose forcément sur le « sang versé » comme dans toutes les autres alliances de sang et l’on trempe l’index droit dans ce sang de la victime sacrifiée pour le laper. C’est le deuxième acte, celui du mèno.
Pourquoi avoir pensé à un tel concept ?
J’y ai pensé et nous y pensons d’ailleurs ensemble parce que je rêve de voir le to-kpê comme une trouvaille heureuse de notre sociologie politique. Le to-kpê qui reste l’un des outils majeurs dans le règlement des conflits doit être considéré avec la plus grande attention par l’ONU, l’Union européenne, les Brics et par l’Union africaine comme la touche majeure de la démocratie africaine. Cela doit être l’apport de l’Afrique dans la gestion de la paix mondiale entre peuples. D’abord, le to-kpê défend et protège la vie en instaurant la notion d’écoute, la patience, la tolérance et le consensus dans le corps social, grâce à cette grande capacité de dialogue qu’il représente. En effet, quel but recherchons-nous lorsque nous regardons systématiquement du côté de Lomé,
Accra, Pretoria, Marcoussis, La haye, toutes les fois que nous rencontrons quelques difficultés de voisinage chez- nous? Il n’aurait jamais fallu aller ailleurs parce que nous y avons perdu beaucoup d’énergie inutilement. Or, chez-nous, le to-kpê nous offre un trésor inestimable dans le cadre du règlement des conflits internationaux.
Regardez en Côte d’Ivoire par exemple : aucun Akyié, Adjouklou, Abbey, Abidji, Alladjan, aucun Baoulé-Gôdè par exemple, ne s’amuse à égratigner violemment un Dida, et inversement. Et cela, ils le savent tous, qu’ils soient paysans, citadins, jeunes ruraux, étudiants, etc. Cela est définitivement inscrit dans la conscience collective de ces groupes. C’est le signe que nos anciens ont réellement su poser les vraies bases de cette norme sociologique et sociale, pour parler comme Durkheim.
Pensez-vous qu’il peut apporter la paix au peuple ivoirien ?
Oui, et les Ivoiriens ou les Africains n’ont qu’à l’expérimenter. Autrement, regardez, Monsieur ! Tous les ans, tous les citoyens des pays africains où se tiennent des élections politiques, retiennent toujours leur souffle. Les mères cachent leurs enfants dans les maisons, de peur de les voir périr gratuitement dans les affrontements insensés d’après élections. Mais alors, quel est ce système de gestion humaine qui rend stupidement des enfants orphelins et des épouses veuves ? Mais, le pire, c’est qu’on le sait à l’avance, avant même que cela ne se produise.
Et on assiste toujours à des batailles rangées que l’on croit naïvement livrer au nom de la démocratie. Quelle démocratie ? Il n’est aucune guerre qui soit juste, en dehors de la seule légitime défense. Chez-moi, à Lakota, nous avons vu, en 2018, un beau jeune homme, égorgé, qui gisait sur le sol, lors des élections municipales. Il s’était laissé bêtement zigouiller pour qu’un des deux candidats accède au poste de Maire ? Mais, lui, le pauvre garçon, stupide, imprudent et zélé, quel intérêt avait-il à renoncer à sa propre vie pour le bonheur des enfants du candidat qu’il voudrait voir élire ? Or, il n’était plus vivant pour savoir si son candidat avait été élu ou pas. Quelle bêtise de sa part !…
Préparons-nous donc à abandonner un jour le système majoritaire qui n’a strictement rien à voir avec la démocratie, mais pas du tout. Le système majoritaire n’est jamais utile à nos sociétés africaines car il divise nos pays en les transformant toujours en camps rivaux et retranchés. Ainsi, les leaders d’opinions, dans le mépris total de notre sociologie politique à nous se « traitent en ennemis », se ruinent diaboliquement et n’hésitent pas du tout à noyer leurs propres frères dans la misère. Et quand ils réussissent ainsi leurs sales besognes, ils se réjouissent en disant, s’ils sont Ivoiriens : « Dans politique là, y a pas camarade dedans, y a pas papa, y a frère dedans. » Cela veut dire que les acteurs politiques sont d’accord pour se détruire mutuellement, sans aucune forme de civilité ou d’humanisme. Mais comment pouvez-vous embrasser un métier qui mépriserait toutes règles de l’art ? Comment pouvez-vous avoir en charge l’économie, l’éducation ou la santé d’un pays ou d’un peuple entier, et dire que votre métier vous autorise à détruire toute personne qui exprimerait la plus petite opinion différente de la vôtre ? Au lieu de le vouer ainsi aux gémonies, le To-kpê vous invite à respecter, préserver sa vie et à entamer un Dialogue avec lui…. Revenons donc à la pratique politique du to-kpê, et je le réclame pour tous les pays africains sans exception, afin que le Général d’armées ou le chef d’Etat-major devienne, plutôt un négociateur (de paix) au nom du président de la république, et non un militaire à la solde du chef des Armées.
Vous avez déjà organisé une première édition. Peut-on avoir le bilan ? Et commen s’est-elle déroulée ?
Pas une seule mais quatre éditions, déjà. Et nous en sommes à la 5ème édition. Le bilan des premières éditions a toujours été positif. La toute première qui a été co-animée avec Madame la Ministre Clotilde Ohouochi, a vu la participation d’une délégation des femmes Kôyaka, conduite par la président Fatoumata Fofana, une grande amoureuse de la Côte d’Ivoire. Les femmes Akyé et Adjouklou ont animé les éditions suivantes. Celle de l’année dernière a coïncidé avec les obsèques du président Bédié et la participation a connu moins d’affluence que d’habitude. Une délégation haïtienne a, cependant, fait le déplacement depuis Port-au-Prince, à cette occasion.
Pour cette édition 2025, qu’est-ce qui est prévu ? A quelle date se déroulera-t-elle ? Quelles sont les innovations majeures ?
Mais cette 5ème édition qui aura toujours lieu à l’amphithéâtre de la Bourse du travail de la porte de Paris le samedi
21 juin 2025, connaîtra des innovations significatives avec la participation de nombreuses communautés africaines : Sénégal, Rdc, Bénin, Algérie, Cameroun, Tunisie, Burkina-Faso et Haïti. Par ailleurs, les amis américains de chez Republicans Overseas-France enverront une délégation ce rassemblement dédié à la « paix entre peuples. »
Et la plus grande innovation porte sur la participation de nombreux diplomates à cette rencontre à laquelle
Monsieur l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, son Excellence, Monsieur Maurice BANDAMA est invité.
Mais c’est la Consule de la république de la Côte d’Ivoire en Grèce, son excellence Madame Marika KECECIOGLOU qui est l’invitée d’honneur de cette grande Journée. Et cela démontre bien notre volonté de rapprocher les peuples selon l’esprit du to-kpê, cette sociologie politique de résolution des conflits. Vive la paix en Côte d’Ivoire ? vive la paix en Afrique, vive « paix entre peuples.»
Interview réalisée par Sylvain Dakouri
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